Reconstitution de gestes effectués par Christian Boltanski entre 1948 et 1954



« Dans la culture juive, je suis attiré par le fait de dire à la fois la chose et son contraire, ou cette façon de répondre à une question par une autre question et constamment tourner en dérision la chose que l’on fait... De toute façon, cela demeure très flou chez moi ; je n’ai aucune culture juive. Je suis comme les Indiens qui, dans les westerns, servent de guides aux soldats : ils ont tout oublié, mais quand ils ont bu, il leur revient des danses indiennes. »







Reconstitution de gestes effectués par Christian Boltanski entre 1948 et 1954
1970, Paris, 500 exemplaires, non numérotés

Dans Reconstruction de gestes effectués par Christian Boltanski entre 1948 et 1954, les textes décrivant une série de gestes quotidiens prétendument réalisés dans son enfance – descendre la rampe d’un escalier, rentrer de classe le cartable à la main – sont illustrés par des photographies où ces mêmes gestes sont effectués par Boltanski adulte.

«Le choix de Boltanski des souvenirs banals et peu glorieux (une page déchirée d’un livre d’école, l’arrivée à la maison cartable à la main) est loin d’être innocent. Ce choix produit un effet d’une puissante étrangeté, à la fois attendrissant et inquiétant. D’une part, la désarmante banalité des objets et des situations quotidiennes pousse le spectateur à l’identification ; d’autre part, ils suscitent une poignante tristesse. Est-ce cela notre vie ? N’est-ce que cela notre vie ? Tristesse qui évoque le sentiment de banalité de la vie décrit par Freud lorsque la guérison nous oblige à renoncer aux mythes narcissiquement magnifiants qui investissent la névrose d’une apparence unique et extraordinaire

«Boltanski arrive ainsi à une conclusion : le passé est définitivement mort, on ne peut pas le retrouver et il est dangereux de se fier aux apparences de vérité fournies par des preuves matérielles obtenues par des moyens d’une fidélité apparemment indiscutable tels que la photographie. Cela ne peut que conduire Boltanski à un questionnement sur le vrai et le faux. Si le souvenir fondé sur des indices sensoriels est faux, si ce qui a les plus grandes apparences de vérité peut mentir, alors qu’est-ce qui est vrai ? Boltanski réfléchit : « Je crois qu’il est très difficile de départager le vrai du faux. Dans une de mes premières interviews, je jouais le rôle d’un jeune homme désespéré et tourmenté. Pendant que je parlais je me disais : je joue bien, ils me croient... Mais quand je suis sorti, j’étais affreusement déprimé, parce qu’en fait c’était une vérité que je me cachais à moi-même et que je ne pouvais me dire que sous l’apparence du jeu».

En conséquence, plus on veut donner l’apparence de vérité, plus on se trompe et plus on trompe. Le souvenir aussi trompe, il est souvenir-écran : il cache autant qu’il montre. Dès lors, toute reconstruction voulue exacte d’un passé perdu ne peut que comporter une grande part de mystification.

Le problème est, dit Boltanski, que nous cherchons à percevoir la réalité selon nos attentes, ce qui nous prédispose à tomber dans le piège de l’illusion. Au contraire, conclut-il, la vérité s’habille parfois volontiers de mensonge, de fantasme. On peut donc avoir accès à une réalité plus profonde en se fiant aux apparences, aux constructions imaginaires, à la fiction.»

Dans Adela Abella Garcia, Christian Boltanski : un artiste contemporain vu et pensé par une psychanalyste, Revue française de psychanalyse, 2008/4 (Vol. 72).