Le deuil impossible

«Ce n’est pas un groupe qui se sépare du mort, mais le défunt qui, par son décès même, s’en est définitivement absenté. La cessation des fonctions vitales constitue la preuve qu’il n’est plus là. Et donc qu’il n’y a plus à « rester là ». Le mort n’est pas cette personne qu’il faut conduire jusqu’à sa dernière demeure, mais l’individu disparu, celui qui s’est définitivement absenté de lui-même, c’està- dire de son habitacle corporel. [...] Ici, l’individu décédé est celui qui se désabonne de lui-même. Inutile donc de mettre en scène une séparation, de ritualiser la distanciation entre morts et vivants ou d’assurer, dans la prise même de cette distance, la permanence du souvenir, en retenant l’autre en un lieu. Le décès tient du débranchement final. [...]

Ce qui est remarquable, c’est que la violence de la mort puisse se régler tout aussi violemment, mais sous couleur d’une résolution rationaliste de la cessation de l’existence et d’une gestion pacifiée du cadavre. La pacification est un processus qui empêche l’expression de la violence : elle est une forme de « surviolence » ; la violence consistant, notamment ici, dans l’interdiction de dire et ritualiser la brutalité d’un événement, ou dans la réduction d’une perturbation à une « information »

Patrick Baudry et Henri-Pierre Jeudy, Le deuil impossible , Paris, Éditions Eshel, 2001, p. 47.